Lettres du bout du monde ...

BURUNDI 1996 - SRI LANKA 1995 - BURUNDI 1996

 

BURUNDI - Octobre 1996
Epidémie de méningite.. la consultation !
Je rentre chez moi : sur mon bureau, 8 mois de courrier, et au milieu, deux dossiers du S.N.I.A : on y parle du congrès de Vienne, de l'alllergie au latex, d'anesthésie en neuro-radio, de gardes et d'astreintes, de salaires ... Que tout cela me semble loin et en même temps, cela m'intéresse ... bizarre !

Depuis bientôt 2 ans, j'ai mis ma "carrière" au CHU de Nancy entre parenthèse pour devenir une anesthésiste globe-trotter avec Médecins sans Frontières. Choix que je ne regrette pas du tout : j'ai l'impression d'exercer mon métier dans toute son entité : anesthésie, réanimation, urgences et je ne vous parle pas de l'entière liberté de décision et son corrolaire, le poids énorme des responsabilités ... Il ne manque rien, même pas le dépaysement !


SRI LANKA - Octobre 1995

Geste inhabituel pour une IADE ! Rachi ou péridurale ?
Je suis devenue une experte, mais
le stress est toujours là !

 Ne vous y trompez pas, j'adore ce que je fais ! Quelque soit le pays ou le situation, les besoins sont évidents :entre 3 et jusqu'à 30 anesthésies par jour (suivant les situations) aussi bien pour de graves blessés de guerre que pour une césarienne ou un enfant qui s'est fracturé la jambe en jouant ... Chirurgie réglée, urgences, jour et nuit, semaines et week-end.


Nous opérons dans toutes les spécialités chirurgicales et je profite de mes retours en France pour "réviser" mes cours et me "remettre à niveau".

D'un point de vue pratique, je dispose d'un minimum de drogues : Valium*, Kétamine, Nesdonal, Vécuronium et Célocurine*, Pentazocine*, Xylo 1% et 2% et pour les rachi Xylo 5 % et Marcaïne 0,5 %. L'oxygène ? On s'en passe assez bien (ne soyez pas choqués, c'est la vérité !) et de toute façon, quand il y en a, on en donne 2 l /mn maximum ... c'est si rare et si cher ! Ajoutez Atropine, Adrénaline, Ephedrine et comme solutés : Ringer, Glucosé 5% et Plasmion. Le tout est à économiser avec le plus grand soin.

Les anesthésies les plus courantes se font à la Kétamine que ce soit pour des gestes simples ou pour des grosses interventions (laparo, thoraco). Puis les loco-régionnales : rachi, bloc axillaire, bloc de pied ... et tant d'autres !

Les accidents sont rares (heureusement !!) : le plus courant étant l'allergie au Plasmion* mais le plus souvent, sans conséquences.


BURUNDI - Août 1996

Césariennes en urgence....Efficacité : on se divise ou on se multiplie ??!

 Le plus stressant pour moi sont les césariennes réalisées dans des conditions plus que limites : les femmes arrivent à l'hôpital après plusieurs jours de souffrances où quelques personnes ont déjà essayé de multiples "pratiques" ... Résultats : des bébés le plus souvent morts, macérés et des femmes épuisées souvent victimes de ruptures utérines. Tableau septique majeur accompagné d'hémorragie ... Malgré tous nos efforts, les décès sont nombreux, sans oublier que je suis seule pour la réanimation de la mère et du nouveau-né ...

Parlons-en de nos efforts ! Ils sont là-bas les mêmes qu'ici mais ils sont souvent bloqués par des éléments extérieurs : quasi impossibilité de transfusion (problèmes ethniques, croyances vis à vis du sang, priorité aux combattants et non aux femmes, sans parler des risques de la transmissions HIV, hépatite, syphilis ... et des dangers d'une conservation aléatoire !), pas de réanimation post-op (pas d'oxygène, pas de drogues de réa, manque de surveillance) et je n'oublie pas le manque de personnel qualifié (qui s'est exilé, a fuit les combat ou est décédé aux cours des nombreuses années de guerre).

 Et j'en viens à mon plus grand regret: je n'ai pu former personne au cours de ces 2 ans, je n'ai pas pu transmettre mes connaissances. J'ai travaillé dans des pays dévastés par des années de guerre et si je vais là-bas, c'est qu'il n'y a pas d'anesthésiste du pays. J'aimerais vraiment pouvoir partager mon savoir (si spécial) ... avant mon retour en France qui sera un autre défi !

Voilà ! Je voulais partager mon quotidien avec vous. Car comme vous l'aurez compris, dire que l'anesthésie comme je la pratique me comble est un euphémisme !

Cette spécialité me permet de vivre pleinement mon engagement humanitaire : aider, soulager, sauver, assister des personnes qui sont démunies, que tout le monde oublie et dont je me rappelle chaque visage. Chaque pays qui m'a accueillie est le reflet d'un drame et toutes mes rencontres me laissent des traces indélébiles.

Je garde le souvenir de ces civils afghans fuyant une guerre qui les dépassaient, ces enfants rwandais au regard perdu et au ventre vide qui vivent dans des abris de fortune, ces femmes burundaises pour qui accoucher est un si grand risque, ces si jeunes combattants tamouls victimes du fanatisme de leur chef et qui sont estropiés à vie et tant d'autres, victimes du Sida, de la tuberculose, du tétanos, d'une méningite (qui à part l'anesthésiste va faire une P.L ?) ou simplement d'une rougeole ... Qui parle de toutes ces guerres et de ces gens ??

Moi ! Aujourd'hui car mon coeur est trop plein et je piétine d'impatience avant mon prochain départ dans quelques jours, je l'espère !

Merci de m'avoir lue et bon courage à tous.